J’ai ressenti le besoin de répondre à la préoccupation rapportée par Joanita Bocossa sur le mouvement féministe au Bénin. Mon propos va adresser le féminisme en tant que ce qu’il est vraiment : un mouvement. Je vais donc parler du mouvement féministe au Bénin. Je le dis tout de go : quelque chose se passe. Le mouvement féministe au Bénin a de beaux jours devant lui. Des voix s’élèvent, des actions fleurissent et mêmes des initiatives pour renforcer la synergie d’action entre toutes les parties prenantes se multiplient. Il y une masse critique forte qui émerge selon moi. Je peux mettre des noms sur des organisations, sur des réseaux, sur des visages. Toutefois, je vais éviter de le faire au risque d’en oublier et laisser des sous-entendus. 

Au Bénin, il y a les personnes qui se revendiquent activistes féministes prétendant qu’elles veulent libérer les femmes, agissant en reliant les communautés et les espaces numériques comme terrains d’actions ; certaines qui s’expriment et portent leurs voix exclusivement en ligne et arrivent à toucher des audiences ; certaines qui se revendiquent féministes mais prennent le féminisme comme quelque chose à appliquer à leur propres vies : elles ne veulent pas forcément mener un combat pour sauver les femmes mais vivre une vie en jouissant de tous leurs droits comme le défend le féminisme. D’un autre bord, il y a les organisations, les réseaux, les associations de toutes gammes (locales, nationales, internationales) qui se revendiquent féministes menant des actions pour la valorisation des droits des filles et des femmes sur divers fronts. Tout cela forme le mouvement. Parce qu’il s’agit du mouvement.

Même s’il m’arrive moi-même de le faire, dans l’espoir de voir le mouvement féministe toucher plus de vies au Bénin, je pense qu’il serait intéressant de ne pas faire de comparaisons de féminisme dans tel ou tel pays. Malgré la reconnaissance du fait que les femmes dans le monde partagent collectivement l’héritage d’un système injuste, la façon dont elles sont affectées reste spécifique selon le contexte et les réalités. Aujourd’hui on parle du féminisme africain : Le féminisme africain est un ensemble de courants féministes définis par des femmes africaines, qui prend spécifiquement en compte la condition et les besoins des femmes africaines résidant sur le continent africain (Wikipédia). Ce féminisme africain sert le féminisme mondial, le mouvement avec un idéal universel pour toutes les femmes.

Pour paraphraser, je dirai donc le mouvement féministe béninois est un ensemble de courants féministes définis par des femmes béninoises, qui prend spécifiquement en compte la condition et les besoins des femmes béninoises. Le féminisme ivoirien est un ensemble de courants féministes définis par des femmes ivoiriennes, qui prend spécifiquement en compte la condition et les besoins des femmes ivoiriennes. Les pays sont différents, les contextes aussi. Il serait donc une erreur de comparer le mouvement féministe dans deux différents pays avec des différentes réalités déduira Toyin Dyva. Cela n’empêche pas de s’inspirer de comment le mouvement s’article dans un pays (approches, stratégies, actions, discours) pour le contextualiser dans un autre.

Le travail des féministes que je connais en Côte d’ivoire, la façon dont elles sont arrivées à apprendre la sororité, leur détermination sont des sources d’inspirations pour moi. Je cite La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes en Côte d’Ivoire et le Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée en Guinée. Le niveau du mouvement dans ces contextes m’inspire. De mon point de vue, il serait pertinent de converser sur comment le mouvement peut se répandre ici au Bénin et impacter plus de vies. Je vais donc aborder les défis qui selon moi, si on y travaille pourraient aider à rendre le travail des féministes plus efficace.

Nous rappeler constamment notre idéal commun 

C’est capital pour nous de taire le bruit, les agitations et de continuer dans l’action et nous rappeler notre idéal. Cela nous maintient dans la conscience que nous portons une cause qui se situe au-delà de notre personne. Quel est notre idéal ? Le féminisme est un mouvement qui défend les droits des femmes. Les droits des femmes sont des droits humains. Inaliénables et indivisibles. Le mouvement féministe veut la valorisation absolue et le respect des droits des femmes comme cela devrait être pour toute personne humaine. Le féminisme existe parce qu’il y a un système en place qui fait que les femmes ne sont pas traitées sur le principe de la valorisation absolue et le respect de leurs droits qui sont des droits humains. Le mouvement féministe revendique et travaille pour une transformation sociale fondée sur : l’égalité culturelle, sociale, politique, économique, et juridique entre les femmes et les hommes. Le mouvement veut que le statut profond des femmes dans notre société soit simplement le statut reconnu à toute personne humaine.

« La Déclaration universelle des droits de l’homme, articles 1, 2, 3 : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

Aujourd’hui cet idéal est compromis. Notre humanité est menacée. Les femmes qui sont membres légitimes de l’humanité, rien que sur la base de leur sexe se retrouvent prédestinées à un destin de victimes de plusieurs vices, fléaux, pratiques et croyances portant atteinte à leur dignité. Cela évoque la menace qui pèse sur notre humanité et l’urgence d’action. Rappelons-nous cela !

Si notre société était un endroit sûr pour les filles et les femmes, nous ne seront pas en train de parler ni d’agir pour rappeler qu’elles sont des personnes humaines et doivent être vues et traitées comme de personnes humaines.

Chanceline mevowanou

Lever les amalgames autour du mouvement féministe au Bénin

Le féminisme ne refuse à aucune femme d’être soumise, d’être contre l’avortement ou d’être femme au foyer. Certaines refusent la soumission, sont pour l’avortement et ne veulent pas être femmes au foyer. Elles ne sont pas plus femmes, plus superwoman que les autres. Elles sont des femmes qui font des choix de vie. Ces choix ne les rendent pas inaccessibles à la violence fondée sur le sexe dans la société. Certaines sont pour la soumission, sont contre l’avortement et veulent être femmes au foyer. Elles ne sont pas moins femmes, moins superwoman que les autres. Au contraire, on devrait travailler pour que soit corrigé le discours selon lequel les femmes aux foyers n’apportent pas de contribution car les travaux de soin qu’elles accomplissent comptent. Elles sont des femmes qui font des choix de vie. Ces choix ne les rendent pas candidates à la violence fondée sur le sexe dans la société. Elles sont personnes humaines. Le féminisme ne choisit pas quelle femme il faut défendre ou pas. Qu’elles soient cheffes d’entreprise, mères au foyer, engagées ou pas, elles sont femmes.

De la même manière, toutes les femmes sont libres de se revendiquer féministes ou pas. Certaines seraient féministes légitimes et d’autres pas : sur quoi on se fonde pour évoquer cette façon de voir ? Le passé d’une femme ? Son histoire ? On cesserait de parler de féminisme si dans notre logique, nous voulons que toutes les femmes qui se revendiquent féministes soient correspondantes d’une vision casée de « bonne femme ou pas ». Nous catégorisons les femmes, distinguant celles qui seraient valables et valides pour se revendiquer féministes et participer au mouvement. Pourquoi ? Pourquoi certaines ne seraient pas libres de ne pas se revendiquer féministes ? L’enjeu ne se retrouve pas à ces niveaux. Ces aspects ne font pas bouger le statut des femmes dans notre société. L’enjeu c’est de déconstruire le système qui a engendré des femmes victimes et survivantes de violences ; des femmes pour qui sont devenus normaux des foyers violents ; des filles qui subissent des mutilations génitales et d’autres atrocités. C’est le système qu’il faut attaquer. Ce système est fait d’un ensemble d’éléments : croyances, pratiques, façons d’éduquer, discours, diktats, organisations qui ne favorisent pas la valorisation des droits des filles et femmes.

Surmonter les sensibilités personnelles

Nous pouvons encore employer des sensibilités personnelles pour juger le mouvement féministe au Bénin, juger nos sœurs ou décrédibiliser leur travail. Pourquoi ? « Le féminisme est pluridisciplinaire et chaque féministe a un sujet qui lui tient plus à coeur qu’un autre. Vouloir que tout le monde fasse comme nous, en supposant que ce soit faisable est contre-productif. Il faut que chaque féministe se spécialise dans quelque chose et que cela forme un tout » a clarifié Toyin Dyva. Les droits des femmes sont des droits humains. Le mouvement féministe défend les droits des femmes. Ainsi, dans l’articulation du féminisme, plusieurs droits des femmes qui sont des droits humains se retrouvent défendus.  Il y a plusieurs combats qui servent le grand et l’ultime combat du mouvement féministe.

Dans l’articulation du mouvement féministe, selon Atsu Eklu :

  • « Des personnes qui pensent et agissent pour que les femmes aient droit au même salaire à travail et expérience égaux que les hommes, que les femmes aient le droit d’exercer le travail de leur choix, de donner leur nationalité à leurs enfants, de conduire une voiture, de se faire un passeport sans demander l’autorisation à leur mari » ;
  • « Des personnes qui pensent et agissent pour que les filles ne soient pas victimes de mutilations génitales, qu’elles aillent à l’école comme les garçons, que les femmes et les filles aient le droit naturel et inaliénable de ne pas subir de violences quelles qu’elles soient (physiques, morales, sexuelles, politiques, économiques) juste parce qu’elles sont des femmes ou des filles, d’hériter des biens de leur famille au même titre que leurs frères garçons » ;
  • « Des personnes qui pensent et agissent pour que les filles et les femmes aient le contrôle sur leur propre corps tout comme les hommes et les garçons, qu’elles peuvent faire la cour à l’homme qui leur plaît sans avoir à baisser le regard, d’exprimer leurs envies sexuelles à leur conjoint » ;
  • « Des personnes qui pensent et agissent pour que les filles et les femmes aient tout autant le droit naturel d’occuper les plus hautes fonctions sociales et politiques de leurs communautés et pays, que les femmes doivent avoir le titre de propriété sur leurs biens… » ;
  • « Des personnes qui pensent et agissent pour que les hommes aient le droit d’être faibles, vulnérables aussi, pouvoir exprimer et extérioriser leurs émotions (peurs, tristesses, joies, remords…), qu’ils n’aient point besoin d’être durs et forts tout le temps, qu’ils ne supportent pas tout le poids de leur famille alors que leur conjointe est capable de travailler pour apporter sa contribution financière à la maison, que les hommes doivent participer aux travaux domestiques, préparer le repas qu’eux aussi vont manger, changer les couches des enfant » ;  

Dans tous ces aspects évoqués, chaque féministe peut choisir quoi défendre que cela plaise ou non. Il serait bien de dépasser les sensibilités personnelles et voir qu’autant les droits des femmes qui sont des droits humains sont multiples, autant le combat peut se porter sur autant d’aspects de ces droits non valorisés.

Les perspectives des filles et femmes béninoises au centre

Il faut contextualiser le mouvement féministe au Bénin. Voilà ce que disent beaucoup de personnes quand le discours les dérange. Je suis contre la contextualisation qui demande de diluer la vision, de ne pas soulever le débat sur certains sujets, de ne pas s’aventurer sur des aspects car : nous sommes en Afrique, nous sommes au Bénin. Ce n’est pas comme ça je vois la contextualisation. Au Bénin, les femmes qui veulent ne doivent pas avorter ? Faut-il trouver des espaces et en parler ou carrément fermer la bouche ? Pour moi contextualiser c’est demander quelles sont les réalités des filles et femmes du Bénin ? De quoi ont-t-elles besoin pour vivre une vie digne et soignée ? Quel est le langage qu’elles comprennent dans leurs différences et pluralités ? Comment leurs intérêts restent au cœur du travail ? Les filles et femmes du Bénin sont nombreuses. Elles sont dans les communautés rurales, en villes, sur internet. Nous avons à penser des perspectives d’actions pour elles toutes avec leurs besoins.

Surmonter le choc des générations 

Il y a deux générations de féministes de mon point de vue au Bénin. Les Dadas et les petites. (Rires 😄) Les Dadas veulent que les petites mènent le combat d’une façon donnée. C’est ce que perçoivent les petites. Elles se sentent moins valorisées et notent une tentative de direction de leur engagement dans un sens. Les Dadas estiment que les petites sont impertinentes, tiennent un discours radical, doivent diluer le ton et ne pas avancer sur certains sujets. Nous sommes face à un défi comme le dialogue parent-enfant sur la sexualité 😂. Il y a une différence d’époque, une diversité des approches, divers langages mais un et un seul idéal. Il serait utile d’avoir des espaces de co-créations respectueux des Dadas et des petites pour discuter et apprendre ensemble.

Structurer, relier, mobiliser des ressources, rendre le travail visible

Tout le travail qui se fait mérite d’être structuré et relié pour donner le mouvement. Les angles ne sont pas les mêmes, les champs d’actions ne sont pas les mêmes mais comment le tout s’articule pour donner le mouvement ? Il faut des espaces pour les féministes au Bénin. En ligne comme hors ligne, pour se retrouver, discuter, apprendre, porter des plaidoyers ensemble et étudier comment chaque travail sert le mouvement global. Ensuite mettre sur pieds des agendas consolidés, agir et rendre ce travail visible. Analyser nos forces, faiblesses, rendre accessible des renforcements de capacités, encourager la spécialisation, et drainer des fonds.

Ce sont des actions qui produisent des changements. Les slogans, les débats sans perspectives d’actions ne produisent pas de changements. Il faut des conversations. Des espaces pour soulever des réalités, les étaler, ressortir les causes et conséquences…mais tous ces processus doivent se couronner par des agendas d’actions. Tout n’est pas du ressort d’un seul groupe de personnes. Le mouvement féministe au Bénin a de beaux jours devant lui si la dynamique en place se renforce et que les défis existants se trouvent relevés. Ces défis sont multiples et dépassent les quelques aspects évoqués dans cet article. Le mouvement féministe au Bénin a de beaux jours devant lui.

Notre monde a besoin de plus de filles et femmes visionnaires, éduquées et épanouies. De plus de filles et femmes qui ne sont ni victimes, ni survivantes, mais juste des êtres humains libres

Pamela Akplogan