Les réseaux sociaux ont eu un impact non négligeable l’activisme féministe. Des prises de paroles des activistes féministes, sensibilisations, alertes, appels à l’aide aux campagnes en ligne, le militantisme féministe sur les réseaux sociaux s’est amplifié au cours de ces dernières années avec une forte vague d’activistes féministes numériques qui ne cesse de monter. Toutefois, si les réseaux sociaux facilitent l’expansion des messages et une large libération de la parole, ils restent aussi des plateformes sur lesquels les activistes féministes se retrouvent confrontées à diverses violences.

Contester un système, défier le statu quo, motiver de changements, développer des plaidoyers de masses sur des sujets challengeant un certain ordre préétabli ne sont pas toujours des processus faciles. L’activisme pour les droits des filles et des femmes, la prise de parole pour le démantèlement des stéréotypes sexistes, la critique pour l’éradication d’un système qui semble normaliser le silence face aux violences faites aux filles et aux femmes et bien d’autres angles de plaidoyers peuvent entrainer des réactions violentes en ligne. Je le sais d’expérience en tant qu’activiste féministe utilisant aussi le numérique comme terrain d’action. Je peux aussi vous témoigner des exemples comme celui de Bintou Mariam Traore, féministe ivoirienne, Initiatrice du mouvement #UneVraieFemmeAfricaine ou celui de Hadja Idrissa Bah, Présidente et Fondatrice du Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée.

Des insultes et commentaires violents allant jusqu’aux menaces de mort en ligne, les activistes féministes en ligne sont confrontées à divers retours violents : harcèlements en ligne, commentaires et réponses violents, menaces des familles ou des proches, publications pour décrédibiliser et inciter à la haine fortement relayées malheureusement…Un exemple qui pourrait vous choquer : en 2020, Meganne Lorraine Ceday, Présidente de La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes a rapporté dans une publication sur son compte Facebook qu’elle et ses collaboratrices de La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes ont été informées qu’elles étaient sur une sorte de liste noire des féministes à violer. Oh oui ! (Il y a des personnes qui estiment que le viol des féministes est un rituel qui peut faire en sorte qu’elles abandonnent leur lutte car elles se sont engagées par manque de sexe – Je sais. Une grande bêtise ! ). Les activistes féministes en ligne sont exposées et menacées.

Les activistes féministes en ligne qui font un travail de critique du système d’oppression des femmes et de libération de la parole sont en proie à des violences. Ce que j’explique n’a pas forcément à avoir avec le simple fait qu’un internaute qui ne partage pas votre avis pose un commentaire. Je parle des gens qui vous harcèlent, deviennent agressifs en commentaires, utilisent des insultes, font des menaces, inventent des mensonges à votre sujet, salissent et déforment vos réponses même si vous répondez parfois poliment. Dans certains cas, ce sont des gens qui viennent pour vous ridiculiser, vous distraire quand vous faites la discussion avec eux dans l’intention d’expliquer votre opinion. C’est bien réel. Face à cela, mon souhait, c’est de voir les activistes féministes continuer dans la prise de parole, l’action, la résistance, la résilience, vaincre la distraction, la négativité, la haine, préserver leur énergie pour continuer à porter leur voix et agir tout en se protégeant, en veillant sur leur bien-être mental. J’ai pris quelques notes que je partage dans ce billet. Bon parcours !

Chères activistes féministes, votre énergie est précieuse

J’ai compris qu’en tant qu’activistes, la portée de notre engagement, de nos actions est intimement liée à l’énergie qui nous remplit. J’adore notre génération de jeunes féministes utilisant les réseaux sociaux pour prendre la parole. Nous sommes visionnaires, agissantes, inclassables, bruyantes, imparfaites, ingouvernables, libres, sans la peur de ce que nous pouvons apporter au monde. Notre énergie provient peut-être de la colère des choses que nous subissons mais elle est ancrée dans l’espoir et la foi qu’un nouveau monde est possible. C’est la positivité et l’optimisme de croire et d’agir pour un mouvement nouveau qui nous gouvernent. Cette énergie positive que nous dégageons est de loin l’une de nos plus belles armes. Elle nous guide dans les efforts pour motiver des discussions que je juge difficiles et inconfortables, pour changer les mentalités et démanteler le système oppressant les filles et les femmes. Cette énergie nourrie par notre vision est comme la flamme, le moteur qui nous pousse et nous permet de continuer à rouler pour une société égalitaire. Elle nous aide à dénoncer l’oppression commune qui est notre héritage, à nous organiser en communautés, créer des espaces, initier des projets, porter des discours pour mobiliser et engager.

Il est important de préserver cette énergie. Elle est précieuse. C’est une étincelle que nous devons entretenir et garder allumée. Cela passe par une prise de conscience à propos du fait que nous devons nous protéger nous-mêmes. Pour la garder cette énergie, c’est nous-mêmes que nous allons devoir protéger. Notre santé mentale est l’aspect de nous qui garde engagés notre corps et notre esprit. Nous ne réalisons pas cela souvent et nous nous exposons à la négativité, nous la tolérons et elle coûte psychologiquement. La conscience du fait que notre énergie positive doit être protégée nous amène à faire attention à nous, à définir nos limites, à ne pas nous aventurer au cœur des débats violents en ligne. Parce que parfois, nous jouons le jeu du système : nous ouvrons la porte à la haine organisée des gardiens et gardiennes de l’oppression et nous nous retrouvons épuisées. La conscience du fait que notre énergie positive doit être protégée nous amène à créer une rituel de renouvellement : nous rappeler les raisons de notre engagement en visualisant à quoi va ressembler le succès, prendre du recul et se retrouver seule pour décharger les énergies des autres, décharger et éplucher la négativité et nous retrouver dans un état d’esprit sain, nous entourer de personnes qui attisent notre énergie…

Cette conscience du fait que notre énergie positive doit être protégée nous amène aussi à accepter les choses sur lesquelles nous n’avons pas le contrôle. Quand un groupe d’individus nous prend pour cible sur internet avec des publications insultantes et négatives, c’est forcément une violence. Nous pouvons les signaler et essayer de ne pas nous concentrer sur cela car cela peut s’avérer négatif pour nous. Pour avoir subi cela, je sais que ces contenus sont comme des balles bloquées en nous mais la conscience du fait que notre énergie positive doit être protégée amène à capter que notre énergie sert une cause plus grande donc ne mérite pas d’être donnée à des fins moins utiles. Ce travail sur soi peut amener à réduire le temps d’écran, quitter les réseaux sociaux pour un temps, suivre des coachings, travailler notre vision. Vous pouvez trouver votre propre rituel de recueillement et de soins personnels. Votre énergie est précieuse. Il m’arrive des moments de  » je ne veux rien savoir, black out sur le combat « . C’est mon moment pour expérimenter la paix et le renouvellement de mon énergie. Cela ne veut pas dire que j’abandonne les filles et les femmes. Au contraire, je viens me ressourcer pour elles.

Josiane Jouët sur le féminisme en ligne a dit que le sentiment d’urgence lié à la gravité de la situation donne aux militantes le sentiment qu’il ne peut pas y avoir de temps de relâche. Le ressentant moi-même, je sais combien ce sentiment nous submerge parfois. Cependant, pour mieux agir pour nous-mêmes, pour les filles et les femmes, il devient indispensable de nous protéger nous-mêmes. Nous devons prendre soin de nous. Audre Lorde dit sur le self-care : prendre soin de soi n’est pas de l’égocentrisme, c’est de l’auto-préservation, et c’est un acte de combat…

Ne mettez pas votre temps pour justifier votre engagement, faites le travail

Lors d’une conférence en ligne sur l’activisme féministe, la question a été posée aux jeunes féministes de savoir l’aspect le plus éprouvant de leur travail. Beaucoup de réponses ont été : « ce que nous trouvons le plus douloureux est que les gens ne comprennent pas notre lutte, nous devons leur expliquer, nous justifier. Nous passons plus de temps à justifier le travail qu’à le faire ». C’est l’une des ruses des plus élégantes et célèbres sur les réseaux sociaux. Lorsque les activistes féministes prennent la parole et s’expriment, certains internautes s’affluent pour demander d’expliquer ou de justifier leur travail. Malheureusement, nous donnons notre énergie pour expliquer et justifier encore et encore notre travail. En soi, ce n’est pas une mauvaise démarche. Mais lorsque quand cela devient une approche de certaines personnes pour confondre le travail des jeunes féministes que nous sommes et diriger notre énergie vers quelque chose d’inutile, il faut arrêter.

Nous sommes dans un système où des femmes victimes de violences sont culpabilisées avant d’ouvrir la bouche. Notre système entretient des stéréotypes qui font que les filles et les femmes n’arrivent pas à libérer leur potentiel. Le système dit que tous les êtres humains sont égaux en droits et en dignité. Pourtant les hommes méritent plus le respect et la dignité : c’est une récompense qui accompagne leur sexe. Tandis que les femmes doivent se battre pour mériter le respect et la dignité tout au long de leur vie. Pendant longtemps, les choses ont toujours été ainsi. Les gens ne se gênent pas de le mentionner. Dans un contexte pareil, c’est quasiment certain que les prises de parole prônant des changements au sein de ce système vont susciter des résistances. Dans le rang des activistes féministes qui prennent la parole, nous avons des filles et des femmes qui sont victimes ou survivantes de violences. Nous ressentons l’oppression au quotidien du fait de notre statut profond dans le système. Nous n’occupons pas les mêmes positions dans le système avec certains gens qui font des vagues d’insultes sur les réseaux sociaux. Nous mettre à justifier notre libération de parole est une entreprise qui absorbe notre énergie à aucune fin.

Notre travail ma foi, n’est pas de donner notre énergie à nous justifier mais de continuer à apprendre, libérer chaque jour plus la parole, à poser des actes, devenir plus solidaires et plus libres chaque jour collectivement. Ne donnez pas votre énergie au fait de justifier votre travail. Faites votre travail. Continuons à prendre de la place, à nous exprimer, à agir. Nos voix et nos actions devraient être nos arguments.

Nos plus grands ennemis sont le silence et l’inaction 

En ligne, l’un des arguments qui servent le plus de fondement aux attaques contre les activistes féministes c’est l’opinion selon laquelle les activistes féministes combattent les hommes ou veulent détruire les valeurs sociales. J’avoue que ça fait mal de voir son travail réduit à la « haine ». Aussi, face à l’état des lieux sur la situation et des filles dans notre société, en tant que militantes, nous ressentons de la colère. Cette colère comme l’explique la féministe Nebila Abdulmelik peut mener à de l’action comme au changement mais aussi elle peut ajouter de l’énergie négative à une situation qu’on déteste déjà tellement et ça peut conduire à dégager de la haine. Dans ces contextes, je me rappelle à moi-même que mes plus grands ennemis sont le silence et l’inaction. Ce sont les choses à combattre et pas les gens. Prenez conscience de cela. Vouc combattez un système, et vos plus grands ennemis sont le silence et l’inaction.

Intégrez des communautés de féministes

La communauté façonne nos croyances, nos pensées, nos attitudes et habitudes. Parfois, nous n’avons même pas conscience de l’influence de la communauté. Chaque élément (paroles, écrits, interactions) qui forme le système en vigueur dans une communauté à laquelle nous appartenons nous influence. Dès lors que nous y sommes exposées, ces éléments de la communauté tentent de devenir des réalités secondaires dans notre esprit.

Les groupes de féministes sur les réseaux sociaux sont comme des communautés dans lesquelles on peut trouver un système de soutien en tant qu’activistes féministes numériques. Cela m’a aidé. Même si ce n’est pas reluisant pour moi de le dire (du fait que cela soit en dehors de mon pays), j’ai trouvé appui au sein d’un groupe de féministes ivoiriennes en ligne. Je traversais un moment de burn-out militant et de désespoir presque et ce groupe m’a aidé. Le fait de savoir que je n’étais pas seule, que d’autres activistes peuvent ressentir aussi ce que je ressentais, que je peux avoir du soutien et de la motivation m’a aidé. Dans ces espaces, on peut partager ses émotions, écouter les expériences d’autres, apprendre comment prendre soin de soi et ressentir que nous appartenons à un mouvement plus global. On reçoit aussi de la positivité, de l’amour et on expérimente la sororité.

Ayez la foi et faites confiance au processus

Sur internet, en tant qu’activistes féministes, il y a une phrase qui est souvent brandie par certains gens pour vous museler : « vous agissez et depuis rien ne va, rien ne bouge ». C’est le genre de phrase qui peut décourager et faire broyer du noir. Des fois, c’est en notre propre sein que ce sentiment nait :  vous agissez, vous prenez la parole, les mêmes évènements continuent de se produire, les violences ne cessent pas, au contraire la sensation qu’elles se multiplient, les stéréotypes deviennent plus profonds vous semble-t-il, bref, vous avez l’impression que vos actions ne portent pas. C’est peut-être fondé mais en regardant de plus près, on réalise que les choses changent. Le changement social (ou sociétal) par définition est « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire ». Un tel processus ne peut se mettre en place en quelques années. Il s’agit des aspects de la structure profonde d’une société. Visualisez les grandes transformations…elles arrivent avec la somme de plusieurs petites actions ayant motivé de petits changements.

Au Bénin il y a des années en arrière, les parents ne trouvaient pas l’importance d’envoyer les filles à l’école. On disait qu’envoyer une fille à l’école, c’est jeter l’argent par la fenêtre. Aujourd’hui, même si dans certaines régions du pays, certaines filles ne vont pas à l’école, nous pouvons voir que les mentalités ont bougé et des parents se battent pour envoyer leurs filles à l’école. Cela n’est pas venu en quelques petites années. C’est le résultat de politiques, d’actions coordonnées, mises à l’échelle à tous les niveaux. Votre travail compte. Continuez d’amplifier. Que la taille d’actions augmente, que les pressions et les plaidoyers augmentent à l’endroit des « policies-makers », que les mouvements de masses continuent de se déclencher, que la mobilisation et la sensibilisation en ligne s’accentuent…Devenons audacieux chaque jour. Faites confiance au processus, célébrez les petites victoires et ayez la foi.

Aux activistes féministes : votre unicité, votre apport personnel est vital dans ce mouvement global. Votre énergie est précieuse. Protégez-la. Prenez soin de vous. Normalisez pour vous le bonheur et le bien-être. Demandez de l’aide au besoin. Ne vous oubliez pas vous-mêmes ! Rejetez la négativité, embrassez la positivité et prenez soin de vous.

De maintenant jusqu’à la fois prochaine,

Avec amour

(Cet article reste aussi est un rappel constant pour moi. Tiré et inspiré de mes apprentissages quotidiens sur un militantisme féministe en ligne)